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Ils étaient quelques centaines de « chinois », surnom donné aux fans de DJ Arafat, venus lui rendre hommage, lundi 12 août, dans les rues d’Angré 7e Tranche. Vêtus de tee-shirts blancs à son effigie, ils ont déposé des fleurs devant la stèle érigée en son honneur. Cinq ans plus tôt, c’est sur l’une des artères de ce quartier d’Abidjan que la légende du coupé-décalé fut victime d’un accident mortel avec sa moto, alors qu’il quittait le Selfie Bar, la discothèque qu’il avait ouverte en 2015.
La marche blanche, organisée à l’initiative de Tina Glamour, la mère de feu DJ Arafat – Ange Didier Houon à l’état civil –, se voulait plus sobre que les années précédentes. Au programme : recueil sur le théâtre du drame et concert au Desaltero, le bar tenu par cette dernière. Un hommage sans personnalités officielles. Mais qu’importe leur absence, le temps d’une journée, les fans de celui qui s’était surnommé « Yorobo », « Daïshikan » ou « Président de la Chine populaire » ont ressuscité l’esprit de l’illustre artiste à coups de chants et de danses.
Des célébrations de mise en Côte d’Ivoire pour le chanteur qui a élevé le coupé-décalé au panthéon des musiques africaines qui comptent. « DJ Arafat est irremplaçable. Il est le visage de cette musique », affirme Franck-Alcide Kacou, directeur général d’Universal Music Africa, le dernier label du Yorobo. Les artistes locaux abondent dans son sens : « DJ Arafat, c’est la base. C’est grâce à lui que j’ai embrassé une carrière musicale, comme 90 % des artistes de ma génération », indique le chanteur Dydy Yeman, ténor du biama, un nouveau sous-genre du coupé-décalé. « Il influence 90 % de notre musique. Ses célèbres attalacous [dédicaces personnelles en hommage à des proches, très présentes dans le coupé-décalé] nous inspirent et nous réinterprétons ce mode de chant à notre manière », complètent Kadirov et Renard Barakissa, les deux compères du duo Team2Poy, autres figures de proue du mouvement biama.
En seize ans de carrière et dix albums, DJ Arafat aura réussi à faire rayonner le coupé-décalé à l’international, collaboré avec de nombreuses stars du continent africain, à l’instar de Davido et Fally Ipupa, et acquis le statut d’icône. Encore aujourd’hui sa musique est plébiscitée, en témoignent les statistiques sur les plateformes d’écoute en ligne en 2024 : plus de 20 millions de streams sur Spotify, plus de 28 millions sur Boomplay et près de 305 millions de vues sur YouTube, selon les données communiquées par la fondation Arafat DJ for Ever. « Lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN), le Selfie a reçu la visite de nombreux touristes qui tenaient absolument à voir le dernier endroit qu’il avait fréquenté. Plus que pour la fête, ils étaient là pour lui rendre hommage. Le club était devenu comme une sorte de lieu de pèlerinage », relate Augustin Kouadio, le gérant du bar situé à quelques encablures du lieu du funeste accident.
Une popularité d’autant plus singulière que, depuis la mort du roi du coupé-décalé, le genre à connu un certain déclin. « DJ Arafat a tellement incarné cette musique qu’après son décès le mouvement a connu un certain ralentissement. C’est comme si le coupé-décalé était mort avec lui », explique la Team2Poy. Selon le duo, « personne ne voulait ni ne pouvait monter sur son trône, alors il est resté vide ». « Il a incarné l’âge d’or de ce genre. Aucune figure majeure n’a encore émergé pour lui emboîter le pas », tranche de son côté le directeur d’Universal Music Africa.
Pour les artistes ivoiriens de la génération d’après, il n’y a donc pas d’autre choix que d’innover pour s’affranchir de l’ombre de la légende. En 2021 apparaissent ainsi le maïmouna et le biama. Le premier constitue un syncrétisme entre le rap et le coupé-décalé, avec comme chef de file la superstar ivoirienne du moment, le rappeur Didi B. Le second est une nouvelle formule du coupé-décalé, une version accélérée avec des beats dépassant les 160 battements par minute (bpm), contre 140 maximum pour le coupé-décalé « classique ».
Ces deux styles musicaux, nés dans les quartiers populaires de la commune abidjanaise de Yopougon, revendiquent une filiation avec la musique du Daïshikan tout en se voulant l’écho de préoccupations nouvelles : « Personne ne pourra jamais être comme lui donc il fallait faire de la musique à notre manière, apporter un nouveau souffle au coupé-décalé », résume le chanteur de biama Dydy Yeman, dont le hit « La Pression » dépasse les 10 millions de vues sur YouTube.
Le maïmouna comme le biama s’appuient sur la viralité de challenges de danses sur les réseaux sociaux, TikTok en tête, pour asseoir leur popularité auprès des jeunes auditeurs. Une stratégie de diffusion qui diffère de celle utilisée lors de l’apparition du coupé-décalé, qui a surtout bénéficié des maquis (les bouis-bouis ivoiriens) comme caisses de résonance. Du reste, si le coupé-décalé n’est plus l’hymne exclusif de la Côte d’Ivoire, DJ Arafat, lui, continue de jouir d’une place de choix dans les playlistes des soirées abidjanaises : « Il n’y a pas une fête où l’on ne met pas au moins une chanson de lui », soutient Dydy Yeman.
« Le coupé-décalé du temps d’Arafat n’existe plus. Il a muté et s’est divisé en plusieurs sous-genres qui donneront naissance à leur tour à d’autres sous-genres », professe Franck-Alcide Kacou. La fondation Arafat DJ for Ever, créée par la famille de l’artiste en 2021, ne compte pas attendre de savoir si DJ Arafat restera toujours présent dans le cœur des mélomanes ivoiriens pour inscrire son héritage de manière pérenne. En plus de s’être dotée d’une mission de centralisation des exploitations de l’image et des biens du défunt chanteur, elle évoque la création d’un musée consacré à la vie et à l’œuvre de l’artiste. Les fans, eux, poussent pour le lancement d’un festival annuel dédié au « Président de la Chine ». Après qu’Abidjan a rebaptisé en son honneur la rue où s’est produit l’accident fatal, le roi du coupé-décalé semble bien parti pour être intronisé comme figure éternelle du patrimoine culturel du pays.
Dialla Konaté (Abidjan, correspondance)
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